SENZA CENSURA N.25

march 2008

 

Procès DHKP-C 

Un verdict aux attendus tant attendus...

 

Avec le verdict de la Cour d’Appel d’Anvers rendu ce jeudi 7 février 2008, trois juges ont –cette fois– décidé de ne plus capituler. En refusant de criminaliser le DHKP-C («Au regard de son existence et des actions que cette organisation a menées en Belgique, le DHKP-C n’y a été ni une association de malfaiteurs, ni une organisation criminelle, ni un groupe terroriste»), la Cour n’a pas seulement voulu discréditer les exigences de l’Etat turc: elle n’a pas accepté de restreindre la liberté d’expression, dans notre pays, du citoyen belge Bahar Kimyongür.

 

Plus de huit ans après avoir débuté, l’affaire dite du DHKP-C vient donc de connaître un nouvel épilogue.

Les sept membres de l’organisation d'extrême gauche turque ont tous été acquittés des préventions d'appartenance à une organisation «criminelle et terroriste».

Trois prévenus ont été sanctionnés d’une peine avec sursis: Musa Asoglu (3 ans de prison), Fehriye Erdal (2 années) et Kaya Saz (21 mois) –la Cour d'appel les ayant reconnu coupables d'infractions à la loi sur les armes et de faux en écriture.

Par contre, les préventions d'association de malfaiteurs et d'appartenance à un groupement  terroriste n'ont pas été retenues. Les sept prévenus sont acquittés sur ce point. Parmi eux, Bahar Kimyongür, que le procureur Johan Delmulle s’évertuait à accuser d’être l’un des dirigeants hautement dangereux de l’organisation révolutionnaire turque. En réalité, il n’avait été –entre 1995 et 2006– que le porte-parole efficace d’un Bureau d’information qui, à Bruxelles, s’évertuait à dénoncer le sort ignoble réservé par la Turquie aux prisonniers politiques de ce pays.

Sükriye Akar, Dursun Karatas, Bahar Kimyongür et Zerrin Sari ont donc été acquittés sur toute la ligne.

À travers ce jugement sans appel, la Cour d’Anvers (soumise pourtant, jusqu’aux derniers moments, aux pressions du Ministre de l’Intérieur Patrick Dewael) aura ainsi pris à contre-pied les résultats judiciaires escomptés par la Turquie (un Etat qui, en Europe, reste en tête des pays portant atteinte aux droits de l’Homme) : bâillonner un de ses opposants (B. Kimyongür) et illégaliser un mouvement d’opposition politique au régime d’Ankara –en faisant passer cette organisation de gauche pour une bande criminelle.

 

SCANDALES A LA CHAÎNE

Avec le présent Arrêt, c’est donc la troisième fois qu’un tribunal était appelé à se prononcer sur un dossier monté de toutes pièces, où l’accusation n’aura cessé d’arranger la réalité pour mieux déranger la vérité. Car cette affaire correctionnalisée –traversée de scandales incessants– avait d’abord versé dans la parodie (avec la nomination, manigancée par le Procureur fédéral Johan Delmulle, d’un juge tout spécialement désigné à la tête du tribunal de première instance) pour se renverser dans l’ignominie: le 26 avril 2006 (à l’instigation de la Ministre de la Justice Laurette Onkelinx), une coalition de fonctionnaires –appartenant aux plus hautes sphères de l’Etat– avait secrètement décidé de laisser extrader Bahar Kimyongür vers la Turquie en chargeant la police hollandaise de le kidnapper.

Ainsi, après tant d’années malmenées

 où l’instruction judiciaire aura été manipulée par la gendarmerie et le Procureur fédéral Delmulle;

 où Fehriye Erdal aura été, selon le Conseil d’Etat lui-même, emprisonnée préventivement «plus que de raison»;

 où aura été mis sur pied un tribunal d’exception pour être sûr, en première instance, d’aboutir à un jugement à la sévérité exemplaire;

 où la ministre de la Justice aura refusé, par cinq fois, de faire appliquer les Arrêts des tribunaux lui enjoignant ainsi qu’à l’administration pénitentiaire de ne plus soumettre Sükriye Akar, Musa Asoglu et Kaya Saz à des conditions de détention dégradantes et contraires aux droits de l’Homme (ce qui avait pourtant été le cas, de février 2006 à février 2007)… ;

après tant d’années malmenées, on se gardera de ne pas rappeler cet ultime sursaut d’une partie de la magistrature : le 19 avril dernier, la Cour de Cassation prononçait un Arrêt «rarissime» dans les annales judiciaires de notre pays. Coup sur coup était cassé le jugement rendu en première instance et fracassé l’Arrêt dispensé en Appel par les tribunaux chargés de juger les prévenus… En cause ? La nomination, entachée de suspicion, du juge Freddy Troch à la tête du tribunal correctionnel du premier degré –une manœuvre organisée par le Procureur fédéral Delmulle et que les juges d’Appel avaient, «à tort», accepté d’avaliser. Conséquence: l’affaire a été renvoyée devant la Cour d’Appel d’Anvers cette fois.

 

RAPPEL DES FAITS

Suite à l’arrestation de «Neşe Yildirim », Musa Asoglu et Kaya Saz le 26 septembre 1999 à Duinbergen, l’instruction conduite par le juge Buysse portait sur des faits circonscrits et limités territorialement : à travers l’association de malfaiteurs étaient visés «la possession d’armes; le vol, le recel de matériel électronique et de documents d’identité; les faux et l’usage de faux», toutes choses retrouvées à Knokke. C’est tout. Mais, lorsque «Nese Yidirim» sera identifiée sous son vrai nom, l’affaire va prendre –de fait– un tour ouvertement politique : selon la Turquie, Fehriye Erdal aurait prêté son concours à l’assassinat d’Özdemir Sabanci –un mandat d’arrêt international étant lancé contre elle pour «tentative de renverser l’ordre constitutionnel». Néanmoins, le juge chargé de l’enquête ne changera pas la géographie des préventions initiales: les incriminations pénales ne concerneront pas d’actes éventuellement commis en Turquie.

Progressivement cependant, l’instruction judiciaire va totalement échapper au juge brugeois : non seulement elle sera réorientée par la gendarmerie et le Parquet fédéral (d’abord sous la pression de Michèle Coninsx puis de son successeur, Johan Delmulle), mais d’autres personnes –soupçonnées d’avoir également des liens avec le DHKP-C, tel B. Kimyongür– vont également faire l’objet de poursuites dans le même dossier. Cette mise sous tutelle va aussi se concrétiser lors de la clôture de l’instruction, alors que tous les devoirs d’enquête ont été accomplis par le juge Buysse. Juste avant d’être transmis à la Chambre du Conseil, le dossier est alors remis aux parties et au Ministère public, ce dernier ayant le droit d’y ajouter ses propres réquisitions –ce que ne manquera pas de faire J. Delmulle. Le magistrat fédéral va, en effet, requalifier la prévention concernant l’accusation d’association de malfaiteurs, en la complétant par huit mots: «(…) en vue de commettre des attentats en Turquie». Cette reformulation de dernière minute (qui va servir de brèche à l’Etat turc pour se constituer partie civile) a une conséquence immédiate: elle induit une malversation dans la procédure, manifestement attentatoire à la régularité du procès. Comme l’instruction n’a pas inclus d’investigations en Turquie (qui auraient pu utilement démontrer l’emprise militaire qui a écrasé ce pays depuis 1981), elle est partiale parce que partielle.

 

COUPS DE FORCE CONTRE LE DROIT

Devant la Cour d’Anvers (septembre 2007), les avocats de la défense ont contesté (comme à Bruges et à Gand) une série d’incidents et d’abus de pouvoir qui avaient déjà dévoyé les deux verdicts antérieurs : des manœuvres qui, au final, avaient contribué à restreindre (voire à anéantir) une série de droits auxquels les prévenus auraient dû normalement prétendre. Ces éléments préjudiciels s’étaient notamment cristallisés à travers une instruction «unilatérale», la correctionnalisation d’un dossier pourtant explicitement politique, des poursuites  engagées au nom de préventions pénales totalement inventées, et l’illégitimité de la partie civile.

L’instruction judiciaire a été illégalement conduite, afin qu’elle reste un manifeste uniquement «à charge» des prévenus.

Dès 1999, l’instruction judiciaire avait été carrément manipulée par la gendarmerie et le Parquet fédéral. Dans le dossier monté, dans un premier temps, contre 11 membres présumés du DHKP-C n’avaient été respectées ni la loi ni la jurisprudence. Celles-ci recommandent pourtant que l’ensemble des faits allégués soient l’objet d’une instruction à charge mais aussi «à décharge»… Ce qui n’avait pas été le cas. L’instruction se devait donc d’être reprise, en brisant son caractère unilatéral.

A Anvers, le Président Stefaan Libert répondra positivement à cette exigence des avocats, ceux-ci utilisant plusieurs audiences pour éclairer les trois juges de la Cour d’Appel sur la situation des droits de l’Homme prévalant en Turquie, sur la légitimité de s’y défendre contre la violence et l’autoritarisme de l’Etat (le dernier putsch de l’armée, au début des années 80, ayant instauré une dictature épouvantable et l’arrestation de 650.000 personnes). En réalité, derrière un façadisme démocratique, les militaires tiennent encore et toujours les rênes du pouvoir («En 1997, il y à peine dix ans, les forces armées n’ont pas hésité à renverser le gouvernement dirigé par l’islamiste modéré Erbakan. Il ne leur plaisait pas, alors que le Premier ministre disposait d’une large majorité parlementaire. Pour l’intimider et précipiter son départ, l’armée a ainsi fait défiler les chars dans le quartier Sincan d’Ankara. Est-ce que vous trouvez cela normal ? Erbakan, on aurait pu le comparer à une sorte de ponte du CVP d’il y a vingt ans… Idem en 1994, quand les militaires avaient envahi l’Assemblée nationale pour y arrêter la députée du DEP, Leyla Zana. Son crime: avoir prononcé des paroles en kurde et porté dans ses cheveux un ruban aux couleurs du Kurdistan. Elle avait aussitôt été condamnée à 15 années d’emprisonnement et plusieurs autres députés du même parti à 50 années de prison. En Turquie, nous sommes dans un tout autre monde» (Jan Fermon, avocat de M. Asoglu, audience du 15 novembre).

En réalité, la Turquie détient toujours le record des violations de la Convention européenne des droits de l’Homme (en 2007, le nombre d’Arrêts –rendus par la Cour européenne de Strasbourg en défaveur de ce pays– s’est monté à… 175), et compte toujours des milliers de prisonniers politiques détenus dans des conditions innommables («Dans les Mémoires qu’ils viennent de récemment publier, d’anciens militaires de haut rang détaillent, sans manières, les tortures les plus recommandées: le supplice de la falaka consistant à frapper sans relâche sur la plante des pieds; suspendre les corps des interrogés au plafond, le temps qu’il faudra; faire passer des décharges d’électricité dans les parties génitales… La police utilise couramment des techniques de torture aux noms sonnants comme "la fosse d’aisance" (où la victime est immergée dans une fosse d’excréments), ou celles de "l’homme bleu" (un sac en plastic mis sur la tête jusqu’à ce que la personne devienne bleue)». «Amnesty décrit le cas de deux étudiants torturés pour avoir fait signer des pétitions. Ils ont été plongés dans l’eau glacée et sodomiser avec une matraque». Une affaire, comme toutes les autres, classées «sans suites»«Selon le doctorat de Jan Peter Loof, sorti en 2005 à l’université hollandaise de Leiden ("Droits de l’Homme et sécurité d’Etat"), la Turquie est "le champion en matière de violations des droits fondamentaux, et entretient sur son territoire un état d’exception permanent en y organisant une véritable terreur d’Etat"» (les avocats de la défense, 15 novembre 2007).

 

Le Procureur Delmulle a, par deux fois au moins, fait avaliser des préventions pénales qui n’existent pas dans le Droit belge. Par deux fois, des juges –censés appliquer la loi– ont pourtant accepté de le suivre dans ses forfaitures.

Au cours des procès de Bruges et de Gand, le Procureur est parvenu (sans aucun mal) à embobiner les juges –évoquant la notion d’association de malfaiteurs «à visée terroriste». Une prévention qui n’existe pas dans notre Droit ? Peu importe. Inventée pour la circonstance, cette infraction inédite était une manière de qualifier rétroactivement des faits mis à charge des prévenus (alors qu’au moment de l’exécution de ces faits, en 1999, aucune législation antiterroriste n’avait encore vu le jour).

Qui plus est. Les tribunaux de Bruges et de Gand ont, à chaque fois, sévèrement condamné les prévenus au titre de membres d’une association de malfaiteurs agissant «contre un Etat».

Sollicités à Anvers à propos de cette innovation pénale, les juges ont dû se rendre à l’évidence et convenir que les incriminations initiales A et B devaient absolument être amputées de leurs treize derniers mots («Avoir été l'instigateur d'une association ayant pour but de commettre un attentat sur des personnes ou des propriétés [ou d'en avoir fait partie en tant que chef ou d'y avoir commandé de quelque manière que ce soit] –l'association existant par l'unique fait de la constitution de cette bande, ayant pour objectif de commettre des attentats sur des intérêts de l'Etat turc»)…

 

La désignation de l’Etat turc au titre de partie civile au procès est un coup de force judiciaire, alors que cette qualification était et reste parfaitement illégitime.

A Anvers, une nouvelle fois, l’Etat turc entendait participer au procès alors qu’il n’en a pas la compétence. C’est d’ailleurs ce que le jugement de première instance, tel qu’énoncé par la 14ème Chambre correctionnelle de Bruges en date du 28 février 2006, avait finalement dû reconnaître :  «L’Article 3 du Code d’Instruction criminelle détermine que la réclamation judiciaire civile revient à ceux qui ont subi des dommages. Pour que la constitution comme partie civile soit recevable, la partie doit non seulement décrire son exigence de réparation des dommages, mais aussi relever qu’elle a été personnellement  dommagée (Cassation, 4 avril 1987). Il doit, de ce fait, avoir été subi un dommage personnel par le délit. La réclamation d’une personne naturelle ou d’une personne de droit ne peut être acceptée si la partie civile n’a pas un intérêt personnel et direct. Ici, la partie civile [l’État turc, NDLR] ne prouve pas quel dommage direct matériel et/ou moral elle a subi à la suite de faits qui sont mis à charge des inculpés. Ceci est jugé par le tribunal d’une manière inattaquable (Cassation, 16 décembre 1992) (…). Le fait que l’État turc a probablement un intérêt dans la punition des inculpés ne suffit pas non plus à la recevabilité de son action civile (…) [d’autant] que l’intérêt dans la punition se mêle à l’intérêt de la communauté –l’État belge– qui a confié exclusivement l’exécution de l’action judiciaire au ministère public (Cassation, 24 janvier 1996). Attendu les principes précédents, la constitution de l’État turc comme partie civile à la suite de ces méfaits doit être considérée comme non recevable»

Or, en degré d’Appel à Gand, le Président Logghe et ses deux assesseurs (dûment chapitrés par J. Delmulle) avaient récusé ce jugement indéniablement fondé –autorisant la partie turque à siéger, plaider et à se voir symboliquement dédommagée. Se faisant, ils avaient autorisé l’avocat d’Ankara à se comporter, au sein du tribunal, comme un second Procureur. Ce qui ne peut être.

La Cour d’Appel d’Anvers a refusé cette imposture.

 

LE DHKP-C…: DES CRIMINELS ?

Le Procureur fédéral Delmulle a toujours voulu que les juges condamnent les prévenus pour participation à une organisation «criminelle»….

Ce concept, on s’en souvient, avait  été introduit dans la loi pénale belge en 1999. Il s’agit donc d’une incrimination récente pour laquelle «le procès Erdal  et consorts» constituait un test. Il faut se rappeler qu’au moment où l’avant-projet de loi en avait été présenté au Parlement, un large mouvement de protestation s’était développé parce qu’on pouvait craindre que cette incrimination soit utilisée pour réprimer des courants politiques et syndicaux dérangeants. De ce fait, les versions initiales en avaient été profondément modifiées, et le concept d’«atteintes aux institutions politiques» mis de côté –les mouvements, dont le but est exclusivement politique, ne pouvant tomber sous le coup de la loi. En février 2006, le tribunal correctionnel de Bruges avait donc, à juste titre, accepté que la loi sur les organisations criminelles ne puisse pas s’appliquer au DHKP-C. Neuf mois plus tard à Gand, la Cour d’Appel (bafouant la lettre et l’esprit de la législation) affirmera le contraire.

Aussi, durant le procès devant les juges d’Anvers, la défense tiendra à pulvériser, une à une, les fameuses «preuves» avancées par le Procureur Delmulle pour accréditer l’allégation de criminalité incontestable dont le DHKP-C userait méthodiquement. La drogue, par exemple. «Le Procureur fédéral a constamment évoqué des trafics d’héroïne pour lesquels auraient été poursuivis des membres de l’organisation aux Pays-Bas. Des allégations prétendument certifiées et assénées dans un seul et même but : jeter la suspicion sur les prévenus. Or, les exemples péremptoires avancés par le Procureur n’ont jamais convaincu que lui-même, et certainement pas les juges, ni à Bruges ni à Gand. Commerce de drogue: c’est la pire des choses dont le magistrat fédéral a aussi accablé Asoglu». Alors que le DHKC n’a jamais cessé de mener campagne contre la drogue, son commerce et ses trafiquants. Par contre, n’ont jamais été assignées dans l’acte d’accusation les preuves innombrables démontrant que le Ministère de la Justice turc a –lui– bel et bien rémunéré (à l’aide de 80 kilos d’héroïne) des gangsters et des mafieux. Le «contrat» ? Assassiner, en Europe, des militants progressistes ayant fui la Turquie (dont Dursun Karatas, l’un des prévenus). En réalité, s’il est avéré qu’il y a bien des transferts réguliers de fonds (des pays d’Europe vers la Turquie) assurant ainsi au DHKP-C d’importantes ressources financières, elles proviennent de la diaspora et des milliers de sympathisants –à travers des dons, des recettes suscitées par les activités culturelles (telles les concerts), la vente des journaux de l’organisation. Pas de la drogue. Pour illustrer les turpitudes de Johan Delmulle dans le registre des avantages patrimoniaux illicitement acquis, les avocats reviendront une fois encore sur «l’affaire Taka». Ses rétroactes ? La police avait mis la main sur d’importantes quantités de drogue, convoyée dans un des camions de la société hollandaise de transport international De Lange Weg. Suite à cet arraisonnement, un procès aura lieu dont Kemal Taka (l’ex-propriétaire du camion) sortira complètement disculpé. Aucune importance: arrangeant l’histoire à sa manière, J. Delmulle la transforme en pièce montée (agrémentée de chantilly), la sert à Bruges, l’insère à Gand et la ressert devant la Cour d’Appel d’Anvers. Objectif: sataniser le DHKP-C. Jan Fermon: «Avant que ne débute le procès devant le tribunal correctionnel de Bruges, nous avions déjà demandé, à la Chambre du Conseil, d’avoir copie du jugement où Taka avait été prétendument condamné. En vain. Pour faire toute la clarté sur ce dossier, nous avions alors suggéré des devoirs d’instructions complémentaires: J. Delmulle, comme à chaque fois, a alors joué au matamore pour impressionner les juges successifs et les convaincre de refuser. Le Procureur fédéral a systématiquement fait de l’obstruction pour que n’apparaissent pas au grand jour les preuves de ses propres manipulations».

Musa Asoglu : «Kemal Taka est un de mes amis. Mais il n’a rien à voir avec un quelconque trafic de drogue. Si tel avait été le cas, pourquoi le Procureur ne m’a-t-il pas explicitement inculpé pour ce crime ? Soit on enlève du dossier pénal ce soi-disant trafic "organisé par et pour le DHKP-C", soit il faut m’inculper. Mais dans ce cas, on établira l’exacte vérité et Delmulle sera confondu…».

 

LE DHKP-C…: DES TERRORISTES ?

Lors de l’audience anversoise du 8 novembre, Musa Asoglu (l’un des principaux inculpés) fera la mise au point suivante à propos des raisons de sa militance, et du contexte pathologique dans lequel elle se sera développée (la violence systématique avec laquelle l’Etat a toujours régenté et continue d’administrer la société turque ainsi que les peuples qui la composent)…: «Moi, je vis aux Pays-Bas. Là-bas comme en Belgique, tout ce que j’ai fait s’est toujours passé dans un cadre légal. Ni le DHKC, dont je suis membre, ni le DHKP n’ont jamais commis et n’ont jamais voulu commettre le moindre acte violent en Europe. En Turquie par contre, l’organisation a justement abattu des policiers tortionnaires ou des maffieux liés et protégés par des officines d’Etat. Les armes retrouvées à Knokke étaient destinées à protéger Fehriye Erdal que des nervis, payés par Ankara, avaient été chargés d’assassiner par tous les moyens».

En fait, l’interprétation extensive du délit de «terrorisme» a été retenue contre deux des sept prévenus parce qu’ils avaient rendu public (au mois de  juin 2004) un communiqué relatant un attentat manqué en Turquie.

La loi contre les infractions terroristes date de décembre 2003. La période d’incrimination –pour laquelle les deux inculpés (Bahar Kimyongür et Musa Asoglu) sont poursuivis pour «délit de terrorisme» – couvre le premier semestre 2004 (la conférence de presse, dont se sert l’accusation pour faire agir la loi, a eu lieu le 28 juin). Or J. Delmulle a continué d’évoquer, pour asseoir irrémédiablement l’incrimination terroriste, «15 dossiers à charge de Kimyongür» relevant de faits pourtant tous antérieurs à la période incriminée. Quinze dossiers terriblement accusateurs…? Mais de quoi ? «Des manifestations, parfaitement légales, dénonçant la guerre américaine en Irak ; ou la détention administrative des plus arbitraires dont avait à souffrir Fehriye  Erdal», soulignera la défense.

Concernant la conférence de presse elle-même, il ressort clairement des procès-verbaux policiers que les verbalisants ne pouvaient  être sur place, qu’ils en ont tout simplement inventé le déroulement puisque leurs principales accusations («Asoglu et Kimyongür y ont, de leur propre initiative, lu et diffusé un communiqué revendiquant un attentat ; ils l’ont mis sur la table, etc…») sont prises en défaut par un document vidéo enregistré au moment des faits. «Qui plus est, traduire en français une information déjà connue et diffusée en Turquie… est-ce  délictuel ?».

Selon le Procureur, le Bureau d’Information (dont les deux prévenus avaient la qualité de porte-parole) était incontestablement un lieu de subversion. «Pourquoi, dès lors, la ministre de la Justice en personne a-t-elle encore déclaré, en septembre 2004, que les services de l’Etat n’avaient absolument rien à reprocher au Bureau ? Pourquoi les autorités ont-elles choisi Musa Asoglu pour servir d’intermédiaire entre le Cabinet et Erdal, assignée à résidence? Pourquoi le Procureur n’a-t-il pas diligenté des perquisitions rue Belliard pour faire valoir, dans le dossier pénal, les preuves incontestables d’un activisme dangereux ?» (Jan Fermon, audience du 14 novembre 2007).

La loi antiterroriste du 19 décembre 2003 ? Elle est des plus confuses et permet des interprétations extensives excessivement dangereuses : par son article 3, en effet, «constitue une infraction terroriste… l’infraction qui, de par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays (…) ou est commise intentionnellement dans le but de contraindre indûment des pouvoirs publics (…), ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays (…)». Porter «gravement» atteinte, contraindre «indûment» des pouvoirs publics, «gravement» déstabiliser les structures d’un pays…, ces adverbes au contenu torve ne peuvent indiquer clairement ce qui est licite de ce qui ne l’est pas.

De surcroît, l’instauration d’une liste européenne des organisations dites «terroristes» (adoptée en 2002 et incluant le DHKP-C) n’est que l’expression d’une exigence formulée arbitrairement par les Etats-Unis. Une liste constituée unilatéralement, sans aucun débat contradictoire, contrairement à toutes les conventions internationales. «Puisque cette liste n’a pas été régulièrement établie, a recommandé la défense en s’adressant aux juges anversois, vous ne devez pas la prendre comme référence pour accuser le DHKP-C d’être un mouvement de terreur». Un argumentaire exagéré ? Dick Marty, le rapporteur du Conseil de l’Europe sur les activité illicites de la CIA, l’avait déjà reconnu sans fard. «Les listes noires de terroristes présumés établies par l’ONU et l’Union européenne bafouent  les droits de l’Homme. La pratique actuelle des listes noires dénie les droits fondamentaux et décrédibilise la lutte internationale contre le terrorisme», avait encore tenu à souligner le sénateur suisse, dénonçant «l’absence de droits de la défense pour les personnes et organisations ainsi listées» (la presse, 13 novembre 2007).

 

CONCLUSIONS…

Dans ce procès très clairement politique, le Parquet fédéral –secondé, hier, par la Ministre de la Justice Onkelinx; aujourd’hui, par le Ministre de l’Intérieur Dewael– a toujours recherché à reculer les limites de l’Etat de droit et du procès équitable, au nom de la prétendue «guerre au terrorisme».

Dans cette époustouflante affaire, la lutte n’est pas terminée, loin s’en faut : il y a toujours à contester les récentes législations en matière de «sécurité publique». Car celles-ci visent à établir de nouvelles jurisprudences où des juges aux ordres iront décréter ce que l’action politique se doit de faire… pour être raisonnable, efficace, légitime et tolérée.

 

 

COMITÉ POUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET D’ASSOCIATION

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